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Texte de Jean Jacques Fleury

La briqueterie Chimot : un patrimoine à préserver

J’ai rejoint le Nord et Valenciennes début 2011. Jusqu’alors le Nord m’évoquait bien sûr les mines de charbon avec leurs chevalements et les terrils.

Les fenêtres des maisons avec leur forme en « T » étaient aussi pour moi une particularité de la région. Je suppose que la partie haute de la fenêtre

ne s’ouvre pas pour mieux préserver la chaleur de la maison du froid Nordique. Et enfin et bien sûr il y a les maisons en brique. Un ancien collègue

tourangeau m’avait ainsi décrit le Nord : tu vois une brique ? Et bien tu t’en imagines des milliers !

Si les mines avaient disparu depuis une vingtaine d’années lors de mon arrivée, les fenêtres en « T » et les maisons en briques étaient toujours

d’actualité. Marly-lez-Valenciennes avait la particularité d’accueillir la toute dernière briqueterie du Valenciennois, la briqueterie Chimot.

Visiter la briqueterie Chimot, c’est entrer dans une véritable machine à remonter le temps. L’usine avait été inaugurée en 1904 pour livrer les briques

au chantier de construction de l’église Saint-Michel. Les techniques de fabrication sont restées identiques depuis la création. Seule la présence de

Manitou nous rappelle le siècle écoulé depuis. Ce retour vers le passé démarre dès l’entrée sur la route d’accès pavée bordée d’une ligne électrique

antédiluvienne.

L’entreprise est également une des toutes dernières de France à utiliser un chemin de fer à voie étroite. Elle dispose même de deux réseaux

distincts : un premier à écartement de 60 cm qui desservait le front de taille. Un excavateur chargeait la terre composée de 15% d’argile sur des

wagonnets à benne basculante. Le train était composé d’un locotracteur Plymouth généralement encadré de 2 wagons d’un côté et de 3 de l’autre.

Une fois chargé, le train se dirigeait vers la zone de séchage naturel à mi-parcours où il laissait deux wagons. Puis il rebroussait en direction de la

briqueterie avec les 3 autres wagons. La terre y était déchargée dans un entrepôt à proximité du four. Le parcours total était d’environ un kilomètre

mais diminuait au fur et mesure que l’excavateur grignotait le sol.

La zone de séchage naturelle jouxte le golf : contraste garanti !

Les wagonnets sont déchargés dans cette zone au droit de presses qui vont compacter la terre pour former des briques. Celles-ci sont ensuite

disposées sous des auvents et sécheront pendant 3 semaines. Elles seront ensuite récupérées par le train à voie de 50 cm, composé d’un

locotracteur Heim et d’une dizaine de wagonnets à plateaux. Le train arrive au droit du four et les wagonnets sont découplés du train pour être

poussés à la main à l’intérieur du four.

La briqueterie a mis ultérieurement en place une presse et une zone de séchage ventilée près du four. Le séchage n’y dure que 60 heures.

Pourquoi l’utilisation de 2 chemins de fer à écartement différent ? Je n’ai jamais eu d’explication sur ce sujet. Je suppose qu’à l’origine la voie de 60

cm reliait la carrière à la zone de séchage naturelle. Et que la voie de 50 cm connectait la zone de séchage naturelle avec le four. Donc chacune

desservait des secteurs bien distincts avec des écartements appropriés : la voie de 60 cm pour optimiser les chargements de terre dans les bennes

et la voie de 50 cm pour pouvoir rentrer à l’intérieur du four. La mise en place d’une presse et de la zone de séchage naturelle près du four aurait

entraîner la prolongation de la voie de 60 cm afin d’y faire parvenir la matière première.

Quatre cuiseurs se relayent pour gérer le four Hoffman qui fonctionne en continu. Il comporte à sa base une galerie de forme rectangulaire où la

cuisson a lieu. A l’étage des « marmites » distribuent doucement le charbon en poudre sur les briques. L’alimentation commence doucement puis

s’intensifie jusqu’à une température de 1100°C puis diminue afin de garantir une monté et une descente progressives en température. Le cuiseur fait

en sorte que le feu démarre à la base des briques pour ensuite se diffuser vers le sommet. Ici pas d’électronique, tout est géré au savoir-faire. Seul

un manomètre indique la pression de l’air traversant le four. La cuisson dure 70 heures, des grandes feuilles de papier permettent de barrer la galerie

dans laquelle sont placées les briques afin de gérer les flux d’air alimentant le feu. Le refroidissement des briques dure 10 jours. Celle-ci peuvent

alors être défournées. De l’autre côté des briques sont enfournées et le feu progresse ainsi de 4 mètres par jour et fait un tour complet du four en 3

semaines.

Le four consomme 600 T de charbon colombien par an.

La briqueterie emploie 23 employés et a produit 3,5 M de briques en 2023.

L’excavateur a cessé de fonctionner en novembre 2017 du fait de l’épuisement de la carrière. La terre argileuse est depuis amenée par tracteur

depuis un autre site. Le train à voie de 60 cm continue toutefois de rouler pour amener celle-ci de l’entrepôt de stockage vers la zone de séchage

naturelle.

Le prix des briques a plus que doublé compte tenu de la situation économique. Mais la briqueterie Chimot a pu maintenir les méthodes traditionnelles

de fabrication ce qui lui permet de proposer des produits haut de gamme. Son carnet de commande est plein et l’entreprise est en bonne santé

financière.

Alors tout va bien dans le meilleur des mondes ? Et bien non, car tout cela vient de s’écrouler brutalement. Car l’entreprise a un talon d’Achille. Elle

n’est pas propriétaire des terrains. Ceux-ci furent préemptés par Valenciennes Métropole. Cet organisme a résillé le bail fin septembre 2023 avec

obligation pour le patron de rendre les lieux fin février 2024, mettant un coup d’arrêt à l’activité. Le four s’éteindra définitivement fin novembre 2023 et

le personnel sera licencié.

Ainsi s’achève une institution plus que centenaire. A défaut de vouloir défendre coûte que coûte ce véritable musée vivant, on peut au moins espérer

que le four Hoffmann, témoignage d’une tradition industrielle soit préservé et mis en valeur. Cela fait aussi partie du patrimoine valenciennois qui ne

doit pas disparaître sous les coups des bulldozers.

Jean Jacques Fleury


Date de création : 08/10/2023 09:08
Catégorie : - La briqueterie Chimot en danger
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