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Une fatalité historique ?

Une fatalité historique ?

ou : deux cents ans çà suffit !

Texte de Jérôme Guilleminot, publié dans Almanach 1982 Jacques Bavay Editeur

« Valenciennes, tradition artistique », « Valenciennes, Athènes du Nord » : deux qualifications qui ont de quoi surprendre plus d’un personne. Imaginons un instant le touriste attiré, alléché par ces deux titres pompeux, l’œil à l’affut, l’appareil photographique en bandoulière. Que trouvera-t-il dans notre bonne ville, qui justifie une référence à la si prestigieuse capitale des Hellènes ? L’église Notre -Dame du Saint –Cordon, commencée en 1852 et inaugurée en 1864 n’a rien d’antique ; l’église Saint-Géry est des plus dépouillée, quasiment neuve ; l’ancienne église Saint-Nicolas garde jalousement ses secrets derrière un portail obstinément clos. Notre touriste aura vite fait le tour de la façade de l’Hôtel de Ville et n’aura peut-être pas l’audace de pénétrer dans la cour intérieure de l’Hôpital du Hainaut. Bref, il sera déçu et se demandera assurément si l’on ne s’est pas moqué de lui.

Et pourtant…

Pourtant Valenciennes a bien été un foyer commercial, artistique, culturel d’un grand rayonnement, du XIIème au XVIIIème siècle. La ville regorgeait de splendides monuments, tant religieux que civils et militaires. Que notre visiteur feuillette les ouvrages de Simon Leboucq, Edouard Mariage, qu’il parcoure les livres d’histoire locale, et il y trouvera la reproduction et la mention de dizaines d’églises, chapelles, cloîtres, de tours, de portes, d’hôtels particuliers, de ponts, de fontaines…Valenciennes représentait le type même de ville médiévale, enrichie et embellie à un point tel que l’on a peine à imaginer.

Mais, notre visiteur s’étonne : « Comment se fait-il qu’aucun élément important ne subsiste  ?Sur le nombre de monuments édifiés, c’est bien le diable s’il n’en reste pas un ! » Oui il y a quelque chose de diabolique dans l’anéantissement de ce qui faisait la fierté de notre cité, une sorte de malédiction.

1789

En 1789, Valenciennes compte huit églises paroissiales, neuf couvents d’hommes et douze couvents de femmes,(les couvents disposaient chacun d’une église ou d’une chapelle pour y célébrer leurs offices et de cloîtres ou de bâtiments annexes).Il faut y ajouter les chapelles des refuges d’abbayes, refuge de l’abbaye de Fontenelle, de Saint-Saulve, de Vicoigne…, plus celles des hôpitaux et des institutions charitables(les Chartriers, l’Hôtellerie, l’Hôtel-Dieu…)

En 1801, il reste…trois églises et guère plus de chapelles : celle des Récollets(notre église Saint-Géry) qui a servi de prison en 1794, l’église du Collège (notre église Saint-Nicolas) et celle des Carmes utilisée comme magasin au fourrage.

Les autres édifices ont disparu ou sont dans un état de ruine avancé : Saint-Jean et Saint-Géry abattues en 1792, Saint-Nicolas incendiée lors du siège autrichien de 1794.Tous les immeubles appartenant au clergé sont déclarés biens nationaux, et la municipalité en achète la plupart pour réaliser des opérations d’urbanisme, (le couvent des Chartreux, les Augustins, les Dominicains, les Ursulines, les Brigittines) ou dans l’intention d’une revente à des particuliers, (Saint-Jacques et Notre-Dame la Grande sont revendues en 1797 et 1798 à charge de démolition).

Le patrimoine architectural religieux a ainsi quasiment disparu. (1)

1889

Jusqu’alors frileusement blottie à l’abri de ses solides murailles, Valenciennes va s’ouvrir : ses remparts sont déclassé par une Loi du 31 mai.

L’extension de la ville sera assurée, les communications facilitées, la salubrité améliorée.

La pioche du démolisseur va libérer Valenciennes de son carcan.

Mais un nouveau désastre se prépare : la destruction méthodique et systématique de l’ensemble des fortifications édifiées depuis le XIème siècle jusqu’aux années 1880.

Des éléments d’un intérêt prodigieux se trouvent en place jusqu’en 1891 : les portes de la ville (porte de Paris, de Famars, du Quesnoy, de Mons, de Lille, d’Anzin), les tours et les ponts moyenâgeux. Quelques voix timides demandent la conservation de la porte Cardon et de la tour de la Dodenne ; seule cette dernière trouvera grâce. Rien de significatif ne subsiste aujourd’hui de la formidable armure dont Valencienne s’était munie. (2)

1940

Dans la nuit du mardi 21 au mercredi 22 mai, vers minuit, un incendie se déclare à la Bijouterie Houlné, 25, place d’Armes, ou juste à côté à l’Unifix ; le feu s’étend bientôt aux maisons voisines, puis à la rue des Moulineaux, à la rue des Anges, à la place du Commerce.

Mercredi 22, à 11 heures, le feu est au campanile de l’Hôtel de Ville ; le riche musée d’histoire locale part en fumée. Rien n’arrête le fléau qui se propage et dévore le théâtre, la rue derrière la Tour, le rue de la Halle, la rue de la Nouvelle Hollande, la rue des Tripiers, la rue Delsaux, le rue du Quesnoy jusqu’à la rue de Hesques, la rue de Mons jusqu’à la rue des Chartreux, la rue de la Viénade jusqu’à la Place Verte, la rue de Lille jusqu’à la caserne Vincent, la rue Saint-Géry jusqu’à l’ancienne piscine.

Enfin, après avoir sévi pendant 14 jours, l’incendie s’éteint de lui-même, laissant un incroyable champ de ruines ; le centre-ville est complètement anéanti ; il ne reste que des carcasses de maisons évidées, calcinées, le plus souvent écroulées. L’Hôtel de Ville, le théâtre, les maisons à pans de bois (l’ancien café modeste et la maison Giard), la place du Marché aux Poissons, la place du Marché aux Herbes, de nombreuses maisons du 17ème et du 18ème sont d’un seul coup réduites en cendres. (3)

L’APRES-GUERRE

La série noire continue ; la menace se nomme « urbanisme ».

Des pâtés de maisons entiers sont sacrifiés à la déesse restructuration : le rue Edmond Guillaume et le quartier avoisinant, la rue des Viviers, la rue des Anges, la rue Saint-Jacques, le côté impair de la rue de l’Intendance. N’oublions pas la démolition de la maison Cellier, place Verte, ni les menaces qui ont si longtemps pesé sur la Maison Espagnole et l’Auberge du Bon Fermier(qui ne doit son statut qu’à l’obstination de quelques uns), ni la récente polémique qui s’est élevée autour de la rue de l’Intendance.

Depuis environ 200 ans, tout se passe comme si Valenciennes devait perdre son identité, sa beauté.

 Peut-on parler de fatalité historique ?

Une analyse des circonstances ayant provoqué les différentes destructions, apporte des éléments de réponse à cette question.

A l’exception du tragique incendie de 1940, toutes les démolitions ont pour origine les agissements des Valenciennois eux-mêmes ou de leurs représentants ! Il s’agit d’une volonté humaine et non d’un « coup du sort », les responsabilités sont à rechercher dans notre propre ville.

La disparition des églises est due au fanatisme d’une minorité luttant par tous les moyens contre la religion catholique, et à la spéculation immobilière favorisée par la vente à bas prix des biens nationaux ; les particuliers et la Municipalité ont pu, par la démolition des édifices, dégager de larges espaces en vue d’aménager et de revendre à meilleur prix.

Le chute du beffroi ( 7 avril 1843) a été en grande partie provoquée par le manque d’attention des responsables de l’époque, à l’état précaire dans lequel le bâtiment se trouvait.

La suppression des fortifications dans leur intégralité, constitue l’exemple le plus navrant d’ignorance. Comment a-t-on pu laisser disparaître une telle source de renseignements historiques, techniques, artistiques ? Certes, dans leur majorité, les Valenciennois contemporains du démantèlement ne percevaient pas tout l’intérêt que pouvaient présenter les vieux murs qu’ils avaient toujours connus. Mais comment admettre que les élus, les sociétés locales, les architectes et urbanistes aient laissé faire un tel gâchis ?

Pour définir l’évolution actuelle du patrimoine immobilier de notre ville, il est tentant d’écrire : « A mêmes causes, mêmes effets ; la négligence, l’ignorance et la bêtise sévissent toujours »Ce serait toutefois oublier qu’un renversement de tendance s’effectue aujourd’hui sous nos yeux ; à voir le nombre et la qualité de certaines restaurations, nous pouvons espérer que les erreurs passées ne se reproduisent plus de la même façon. Mais il est inquiétant de constater que cette évolution n’est le fait que de particuliers et de commerçants ; la Municipalité, les organismes publics, les urbanistes et aménageurs ne semblent pas encore avoir nettement perçu l’intérêt de la mise en valeur du patrimoine subsistant.

« Valenciennes, tradition artistique » ?

                                                                                        Jérôme GUILLEMINOT

                                                                                                        Octobre 1981

  1. Loridan, La Terreur Rouge
  2. Edouard Mariage, Les Fortifications de Valenciennes
  3. Posière, Heures vécues

Date de création : 06/06/2015 12:01
Catégorie : Rubriques - CSPV
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