La Maison Cellier
Place Verte il y a 50 ans ou comment 500 ans d’histoire ont été anéantis
Philippe Morel, membre du Comité de Sauvegerde du Patrimoine Valenciennois.
Il y a 50 ans la Maison Cellier, élément de l’ancien Hôtel de Carondelet, était livrée aux démolisseurs. Ces quelques lignes retracent la glorieuse histoire de cet édifice dont nos ainés se souviennent encore aujourd’hui.
En remontant les siècles
Propriété de la seigneurie de Potelles, la construction de l’hôtel remonte aux années 1455-1460. En 1491, cette seigneurie est acquise par Jehan VI Carondelet (1428-1501), chancelier de Flandre et de Bourgogne de l'empereur Maximilien de Habsbourg. Son fils Claude (1467-1518) est nommé chef du conseil privé de Charles Quint en charge du gouvernement des Pays bas et son autre fils Jean (1469-1544), chancelier de Flandre et de Bourgogne, conseiller de Charles Quint, archevêque de Palerme et protecteur du philosophe Erasme. Son petit fils Ferry (1515-1562), archidiacre de Besançon, ambassadeur et légat du pape. Â ces titres, l’Hôtel reçut la visite de l’empereur Charles Quint lors de sa première entrée à Valenciennes en 1524. Dès lors cet endroit devint un lieu de réception des notables de passage à Valenciennes comme des « élus » issus du peuple. En témoigne la réception donnée le 13 mai 1548 par Ferry de Carondelet en l’honneur du prince éphémère de la Principauté de Plaisance au cours de la grande fête populaire la plus marquante du XVIème siècle terminée par un banquet de 650 couverts servi à la Halle (à l’emplacement de l’actuel «Président », place d’Armes).
En 1621 Wenceslas Cohbergher, architecte de l’archiduc Albert de Habsbourg et de l’infante Isabelle d’Espagne, fille du roi Philippe II d’Espagne est mandaté pour édifier le Mont de Piété de Valenciennes. L’Hôtel de Carondelet qui a gardé l’ensemble de sa décoration de l’époque précédente reçoit la visite de l’archiduc et de l’infante en 1622 puis de l’infante en 1625 avant de devenir le logement des surintendants et propriété du Clergé. Le plus célèbre de ces surintendants est aussi le dernier : Charles Lamoninary, directeur de la faïencerie.
Saisis comme bien nationaux le 5 septembre 1794 le Mont de Piété et l’hôtel deviennent propriété de la ville de Valenciennes. Le 8 novembre 1802 l’hôtel des surintendants est loué aux termes d’un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans à Madame Veuve Françoise Paymant qui, un an et demi plus tard et jusque 1843 sous-louera l’actuel n°10 pour loger le directeur du Crédit Municipal ouvert dans les murs du mont de Piété. En 1901 le Crédit Municipal retrouve l’ensemble en bien triste état. Cette même année, le n°8 est vendu à Eugène Cellier entré peu avant au Conseil d’Administration du Crédit Municipal. Il en fera sa résidence communément dénommée « Maison Cellier ». Le produit de cette vente permettra la remise en état puis la location du n°10. Les deux immeubles seront restaurés par l’architecte Paul Dusart à qui nous devons aussi l’édification du musée des Beaux Arts. En 1912 le n°10 devient aussi propriété de la famille Cellier. De 1912 à 1960 il y avait donc la « Maison Cellier » des propriétaires (le n°8) et la « Maison Cellier » des locataires (la n°10). Le 1er mai 1944 l’Ecole de la Sagesse est détruite lors d’un bombardement qui touchera aussi partiellement le n°10 où les sœurs rescapées seront hébergées par la famille Cellier, laquelle quittera l’hôtel en 1957.
Le 30 septembre 1960 le Conseil Municipal de la ville de Valenciennes décline l’offre d’acquisition de l’ensemble, à un moment où le projet d’édification d’un immeuble de rapport à cet emplacement n’était un secret pour personne. Le n°10 trouvera un acquéreur suffisamment respectueux de la valeur historique de son bien pour résister aux propositions alléchantes des bâtisseurs. Sa voisine n’aura pas cette chance car à côté de la Maison Cellier se trouvait alors un terrain vague libéré par la destruction de l’Ecole de la Sagesse lors du bombardement de 1944. Suite à la décision du Conseil Municipal, Pierre Carous, alors député-maire de la ville avait publié un communiqué :
« Pour faire suite à la décision du conseil municipal relative à l’acquisition des immeubles 8 et 10 de la place Verte, le Député Maire de Valenciennes rappelle que tout aménagement ou reconstruction de ces immeubles devra faire l’objet d’un permis de construire. Il s’opposera à tout projet ne respectant pas les hauteurs maxima prévues au plan d’aménagement où de nature à nuire à l’ordonnancement général de la place Verte. ».
Cet écrit ne devait cependant leurrer personne car fin novembre 1964 les démolisseurs sont passés à l’action et seul le porche datant de 1455-1460 sera sauvé et remonté au n°9 de la rue de Beaumont où il se trouve toujours.
Trois années durant le n°10 pourtant habité par trois familles, va se maintenir en équilibre instable sur son seul pignon de séparation non porteur du XVème siècle sans aucun étayage jusque la construction de la Résidence des Incas, modèle d’architecture de son époque d’environ 20 mètres de hauteur et qui, de nos jours, occupe l’emplacement de la Maison Cellier et de l’ancienne Ecole de la Sagesse.
A la question de savoir à qui a profité ce massacre : assurément pas au bien public et il suffit de questionner les riverains qui ont assisté au déroulement de ces opérations ; les mêmes qui, au moment de la construction de la Résidence des Incas, ont alerté l’administration des Monuments Historiques afin de tenter de protéger ce qui pouvait encore être sauvé, amenant à l’inscription au titre des Monuments Historiques du n°10 place Verte et du Mont de Piété publiée le 27 novembre 1968.
Illustration : Novembre 1964, les démolisseurs sont à l’œuvre. Il s’agit de l’une des seules images montrant une partie de la façade sur cour de la Maison Cellier. © : X.
PS : L’auteur de cet article, propriétaire du n°10 place Verte, est à la recherche d’images et de descriptions des façades sur cour des deux maisons Cellier, si possible, antérieures au bombardement de 1944 pour ce qui est du n°10. Merci de prendre contact avec le Journal qui transmettra.